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Microbiote mode d’emploi : ces micro-organismes participent à la santé des plantes

Plantes et micro-organismes sont susceptibles d'établir des relations à bénéfices réciproques, comme les humains avec leur flore intestinale. Les agriculteurs connaissent et utilisent depuis longtemps la symbiose entre les légumineuses et les rhizobia. Les progrès des connaissances sur les relations complexes et nombreuses que peuvent entretenir les plantes et leur microbiote ouvrent des perspectives pour la sélection variétale et l'agroécologie.

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François et André Beurier, éleveurs de dindes à Nort-sur-Erdre, cultivent du soja depuis 7 ans. Ils utilisent systématiquement des semences pré-inoculées avec Bradyrhizobium

A Nort-sur-Erdre (44), André Beurier cultive du soja depuis 7 ans, qu’il utilise pour nourrir ses dindes. Lorsqu’il commande ses semences de soja, l’éleveur achète en même temps un inoculum bactérien, en l’occurrence, une souche de Bradyrhizobium. « Les premières années, je devais mélanger moi-même la semence et l’inoculum, brasser le mélange dans la bétonnière et semer dans les 48 heures. Aujourd’hui, les semences me sont livrées déjà inoculées et j’y gagne en souplesse de travail.  L’une des clés de la réussite de la culture de soja est de viser un temps poussant juste après le semis. » 

Selon André Beurier, l’achat de l’inoculum coûte cher, « cela double le prix de la semence ».  Mais c’est le prix d’une « certaine sécurité ». Même si ses rendements restent assez modestes (en général, 13 à 17 q/ha), le soja est important pour l’éleveur non seulement pour l’alimentation de ses animaux, mais aussi comme tête de rotation. « Lorsque je fais un blé derrière un soja, j’ai toujours un point de protéines de plus que derrière un maïs ». La présence de Bradyrhizobium y est sans doute pour quelque chose…

Une relation connue : légumineuses et rhizobia

Bradyrhizobium est en effet une bactérie capable de fixer l’azote de l’air, qui établit une relation bénéfique avec le soja. La bactérie fournit de l’azote assimilable au soja, et le soja fournit des sucres à la bactérie. Ce type de relation existe chez toutes les légumineuses : « les souches de rhizobia sont spécifiques d’une espèce de légumineuse. Elles sont en général présentes dans les sols de la zone d’origine de la légumineuse, mais absentes ailleurs », explique Cécile Revellin, chercheuse de l’Unité mixte de recherche (UMR) Agroécologie de Dijon.

 « En l’absence de rhizobia spécifiques, il est nécessaire d’inoculer, c’est-à-dire apporter les bactéries au voisinage de la graine. C’est ce qui est pratiqué en France pour le soja dans tous les sols, pour la luzerne dans les sols de pH inférieur à 6,5 et le lupin dans les sols de pH supérieur à 6 ».

Comparaison des cultures de soja inoculées ou non avec la bactérie spécifique Bradyrhizobium. © Cécile Revellin, inrae
Comparaison des cultures de soja inoculées ou non avec la bactérie spécifique Bradyrhizobium. © Cécile Revellin, inrae

Les associations entre les légumineuses et les rhizobia sont connues et valorisées en agriculture depuis longtemps, tout comme celles entre les plantes et les champignons mycorhiziens (1). Mais ce que la science met en évidence depuis quelques années, c’est qu’il existe une multitude de relations entre les plantes et les micro-organismes.

La rhizosphère est le siège de nombreuses interactions

Chez les humains, on sait que le microbiote intestinal est indispensable au processus de digestion (mais aussi impliqué dans d’autres fonctions vitales). Le parallèle peut être fait avec le microbiote rhizosphérique (des racines): c’est à ce niveau que se jouent de nombreuses interactions entre la plante et son environnement , nutrition, accès à l’eau, défense contre des pathogènes…

« La rhizosphère correspond aux quelques millimètres de terre entourant la racine des plantes et qui sont sous l’influence des rhizodépots, composés organiques libérés par la racine, utilisables par les micro-organismes. Le microbiote rhizosphérique est spécifique du génotype de la plante » décrit Philippe Lemanceau, directeur de l’Unité mixte de recherche Agroécologie à Dijon, l’un des spécialistes français du microbiote des plantes.

Le microbiote rhizosphérique d’une plante se situe dans la zone de terre adhérant aux racines de la plante (ici, du pois). La recherche agronomique commence à mettre en évidence l’importance majeure des interactions plante-microorganismes qui s’y produisent. © Barbara Pivato, Inrae

Le microbiote rhizosphérique d’une plante se situe dans la zone de terre adhérant aux racines de la plante (ici, du pois). La recherche agronomique commence à mettre en évidence l’importance majeure des interactions plante-microorganismes qui s’y produisent. © Barbara Pivato, Inrae

La sélection naturelle a favorisé les interactions bénéfiques

« Contrairement aux animaux, les plantes ne peuvent pas se déplacer et ont donc développé des stratégies pour s’adapter à leur environnement.  La plante investit une part importante de son énergie dans la libération de rhizodépots, mais cet investissement est balancé par les effets bénéfiques du microbiote rhizosphérique sur la nutrition, la croissance et la santé de la plante-hôte. »

Au cours des millions d’années de leur histoire commune, ce sont donc les ensembles « plante-microbiote » les plus performants qui ont été naturellement sélectionnés, c’est-dire ceux au sein desquels les relations entre les plantes et microorganismes étaient les plus profitables aux deux parties.

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Des aptitudes perdues ou peu utilisées

Mais si la sélection naturelle se fait surtout en situation de stress (seuls les plus performants survivent), la sélection « moderne », au sens de sélection semencière, se fait au contraire en situation fertile. Selon Philippe Lemanceau, ces protocoles auraient pu conduire à une « contre-sélection » involontaire, chez les plantes cultivées, des traits impliqués dans les interactions bénéfiques.

Les plantes cultivées pourraient donc avoir « perdu » en partie l’aptitude à établir des relations bénéfiques avec leur microbiote. Mais en outre, les pratiques agricoles « n’encouragent » pas non plus les relations avec les micro-organismes. D’abord, parce que certains pesticides sont directement nocifs pour la flore du sol (comme en médecine humaine, les antibiotiques tuent tout à la fois les « mauvaises » et les « bonnes » bactéries). Ensuite, parce que les cultures sont fertilisées :  la plante n’a plus « besoin » de passer par ses micro-organismes pour accéder à la nourriture.

Sélectionner des plantes moins dépendantes des intrants

Philippe Lemanceau, directeur de l’UMR agroécologie de l’Inrae, plaide pour une prise en compte de l’ensemble
« plante-microbiote » dans la sélection variétale. © Inrae
Philippe Lemanceau, directeur de l’UMR agroécologie de l’Inrae, plaide pour une prise en compte de l’ensemble « plante-microbiote » dans la sélection variétale. © Inrae

Selon Philippe Lemanceau, toutes les connaissances autour des interactions entre la plante et son microbiote plaident pour un « changement de paradigme », en phase avec les objectifs de l’agroécologie qui valorise la biodiversité et les interactions entre organismes de l’agroécosystème. Fin 2019, le chercheur a été invité à présenter une synthèse de ses travaux devant les sélectionneurs français(2). Il propose de changer de regard sur la pratique, et de ne plus chercher à sélectionner la plante la plus performante, mais l’ensemble plante + microbiote le plus performant et le moins dépendant d’intrants de synthèse.

« Les véritables enjeux pour le futur sont d’orienter le microbiote via la plante en introduisant les critères correspondants dans les programmes d’amélioration génétique des plantes », commente Philippe Lemanceau. Il s’agirait donc de sélectionner les plantes qui présentent, dans leurs rhizodépots, des composés favorisant les populations microbiennes bénéfiques. Et bien sûr, de fournir ensuite les meilleures conditions pour leur développement.

Repenser les associations

En agroécologie, une des stratégies courantes est d’associer différentes espèces végétales pour valoriser au mieux les ressources de l’environnement : or, il se pourrait que ces associations se fassent également à l’échelle microbiotique. Ainsi, des recherches ont montré que le microbiote des plantes associées était différent du microbiote de chaque plante conduite seule.

Par exemple, dans l’association blé-légumineuse, la légumineuse, qui bénéficie de la fixation biologique de l’azote atmosphérique grâce à l’association avec rhizobia, promeut aussi la nutrition en azote de la graminée en lui laissant disponible l’azote du sol. L’équipe de Philippe Lemanceau formule l’hypothèse que, réciproquement, le blé et son microbiote amélioreraient la nutrition de la légumineuse en fer (lui-même essentiel pour la fixation biologique de l’azote atmosphérique).

Certaines populations microbiennes sont, à l’inverse, défavorables à la croissance et à la santé des plantes. Des recherches sont en cours pour utiliser certaines de ces populations qui pénaliseraient les adventices mais pas les plantes cultivées, leur donnant ainsi un avantage compétitif et réduisant en conséquence l’usage d’herbicide.

(1) La truffe est par exemple, un champignon mycorhizien qui établit une association avec un chêne ou un noisetier. (2) Une synthèse de sa présentation est parue en novembre dernier dans Le sélectionneur français.


Les informations généralistes contenues dans cet article ne sauraient remplacer un diagnostic personnalisé des parcelles.

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